Les audits quantitatifs

L’audit quantitatif se fonde sur un questionnaire susceptible d’être administré à l’ensemble du personnel, alors que l’audit qualitatif se limite nécessairement à quelques dizaines de personnes. Ce questionnaire peut être présenté sur un support papier ou sur un support informatique (ce qui permet d’éviter la retranscription des questionnaires remplis sur un support papier). Dans le cas d’un support informatique, les personnes interrogées sont invitées à se connecter à un logiciel sécurisé préservant leur anonymat (et qui ne leur permet pas de répondre deux fois !).

On aura compris que le principe est identique à celui d’une enquête d’opinion. La différence réside dans le fait que le questionnaire d’audit se fonde sur un référentiel qui a fait l’objet d’une validation scientifique dans le contexte du pays où il est administré. On trouvera ça après à titre d’exemple le référentiel portant sur le climat social mis au point en 2009 par l’auteur de ces lignes, en collaboration avec Bernard Merck :

  • ce référentiel a été mis au point sur la base des 40 « irritants sociaux » les plus fréquemment cités à l’occasion de quelque 1500 entretiens réalisés dans plusieurs dizaines d’entreprises françaises de différents secteurs d’activité ; les auteurs estiment ainsi qu’ils représentent environ 80% des causes concrètes de dégradation du climat social ;
  • ceci dans un contexte français : dans un contexte culturellement différent, les causes d’une telle dégradation peuvent être un peu différentes ; par exemple, ce sera, en Russie, le fait de ne pas être payé à la fin du mois ou d’être payé au noir ; ceci oblige à reparamètrer le référentiel dès lors qu’il est utilisé dans un pays étranger.

Le référentiel des irritants sociaux

  1. Degré de cohésion du corps social :
    1. Ambiance détériorée au sein de l’entreprise
    2. Manque de coopération au sein de l’équipe de travail
    3. Manque de coordination entre équipes de travail
    4. Querelles entre anciens et nouveaux
    5. Existence de communautarismes culturels, sociologiques ou professionnels
    6. Existence de non-dits ou de rumeurs
  2. Perception du comportement de l’encadrement :
    1. Présence insuffisante sur le terrain
    2. Manque de respect envers le personnel
    3. Comportement autoritariste ou incapacité à animer et à réguler l’équipe
    4. Incapacité à faire progresser les personnes
    5. Existence d’ordres et de contre-ordres
    6. Absence d’informations claires et complètes sur le travail
    7. Absence de réponse aux questions et aux suggestions d’amélioration
    8. Définition insuffisante des rôles respectifs du n+1 et du n+2
    9. Défaillances dans le traitement des symboles
  3. Perception des méthodes de management :
    1. Politique de communication insuffisante
    2. Incompréhension des modes de fonctionnement de l'entreprise et des exigences qu’ils impliquent
    3. Absence d’entretiens périodiques d’appréciation sérieusement faits
    4. Mesures salariales individuelles différenciées, mais non justifiées de façon claire
    5. Négligences dans l’accueil des nouveaux embauchés
    6. Possibilités d’évolution insuffisantes ou répondant à des règles insuffisamment claires entraînant un sentiment d'injustice ou d'iniquité
  4. Perception du comportement de la Direction :
    1. Éloignement des centres de décisions
    2. Absence de reconnaissance pour le travail accompli
    3. Incapacité à présenter un projet mobilisateur
    4. Manque de cohérence apparente de l’équipe de direction
    5. Absence d’une visibilité suffisante de la politique poursuivie
    6. Importance accordée aux conditions physiques de travail insuffisante
  5. Perception des relations collectives de travail :
    1. Existence d’une représentation du personnel peu structurée ou manquant de légitimité
    2. Délégués du personnel jugés insuffisamment présents
    3. Comité d’entreprise jugé trop peu actif
    4. Existence de tensions entre encadrement et représentants du personnel
    5. Existence de relations dégradées entre la Direction et les représentants du personnel
    6. Absence, venant de la Direction, d’une prise en compte suffisante des préoccupations et des souhaits du personnel
  6. Perception de l’avenir et de l’environnement de l’entreprise :
    1. Inquiétude en ce qui concerne la pérennité de l’établissement ou de l'emploi
    2. Incertitude en ce qui concerne les changements prévus dans l’organisation du travail
    3. Tendance à la dévalorisation des métiers pratiqués
    4. Craintes de déclassement par insuffisance ou inadaptation des compétences requises
    5. Relations difficiles avec les usagers ou les clients
    6. Exigences croissantes ou incompréhensibles venant des différents partenaires de l’entreprise
    7. Changement du cadre institutionnel ou réglementaire imposé sans explications suffisantes

Le piège des comparaisons internationales :

Les résultats d’enquêtes internationales réalisées sur la base d’un questionnaire identique ont peu de valeur dans la mesure où les réponses s’inscrivent dans un contexte qui peut être complètement différent d’un pays à l’autre. Par exemple, si les Chinois se disent plus fréquemment que les Français favorables au principe de la libre entreprise, c’est que celle-ci apparaît comme une véritable libération après les affres de la Révolution culturelle alors qu’en France l’entreprise entre en concurrence avec un Etat-providence supposé bienveillant.

De même, on prendra l’exemple d’une grande entreprise américaine dans laquelle, au sein d’une de ses usines française, l’enquête d’opinion (annuelle) donnait lieu, à l’initiative de la Direction  locale, à une campagne en vue de produire les résultats les plus favorables possibles dans la mesure où ils déterminaient le choix d’un lieu d’investissement par la société-mère, et donc l’avenir de l’usine.

La confiance dans des enquêtes d’opinion ainsi réalisées dans des conditions douteuse s’apparente à la pensée magique.

L’audit peut porter sur le climat social, comme le montre le référentiel reproduit ci-dessus. Mais il peut porter sur des thèmes plus précis, tels que :

  • l’origine et l’intensité des risques psychosociaux (ceux-ci étant en grande partie identiques aux facteurs de dégradation du climat social),
  • la qualité du dialogue social et des relations entre la Direction et les représentants du personnel,
  • la contribution de l’entreprise au mieux vivre et le sentiment de bien être éprouvé par les salaires qu’elle emploie,
  • la contribution des salariés à la politique de développement durable pratiquée par l’entreprise (récupération des déchets, économies d’énergie, éco-design, etc.).

Sur la base du référentiel qui aura été ainsi retenu, la mission d’audit se décompose, comme dans le cas d’un audit qualitatif, en trois phases.

En ce qui concerne la préparation de l’enquête, il s’agira :

  • d’adapter le référentiel standard, tel que celui présenté plus haut, à la réalité de l’entreprise et aux besoins du commanditaire ; cette adaptation peut être assurée avec le concours du CE ou du CHSCT, ce qui est hautement souhaitable s’il s’agit d’un audit portant sur les risques psychosociaux ; toute la difficulté est de prendre en compte les légitimes demandes d’adaptation du référentiel sans le dénaturer et en évitant les questions qui relèveraient d’une simple enquête d’opinion (« êtes vous fier de travailler dans l’entreprise ? ») ;
  • d’informer le personnel concerné des buts et des modalités de l’enquête : conditions de remise du code permettant de se connecter avec le site dédié, mise à disposition éventuelle d’ordinateurs, identité des personnes auprès desquelles se renseigner en cas de difficulté, etc. ; cette information doit être d’autant plus sérieuse qu’elle détermine le taux de réponse (qui peut varier de 30% à 70%) ;
  • de déterminer les dates d’ouverture et de fermeture de l’enquête et les conditions dans lesquelles les salariés pourront se connecter ;
  • de désigner un ou plusieurs « administrateurs » qui seront chargés de distribuer les clés d’accès cryptées, de répondre aux questions et de faire face à d’éventuelles difficultés et de relancer collectivement les salariés au cas où le taux de réponses serait trop faible ;
  • de vérifier que le site (extérieur à l’entreprise) est compatible avec le système informatique de l’entreprise et qu’il est possible pour les salariés de s’y connecter à partir de leur ordinateur (ce n’est pas toujours le cas et une coopération avec les informaticiens de l’entreprise peut être nécessaire).

Ces précautions étant prises, l’enquête peut démarrer. Elle s’étendra sur une période qui peut être d’une quinzaine de jours et peut nécessiter une assistance :

  • celle des administrateurs internes à l’entreprise, chargés de répondre aux questions des salariés qui éprouveraient une difficulté à se connecter et, parfois, de procéder aux relances nécessaires pour atteindre un taux de participation satisfaisant,
  • celle de l’administrateur du prestataire, lui-même chargé de trouver une solution aux problèmes techniques qui pourraient survenir.

L’enquête étant close, on en viendra à l’exploitation et à la présentation des résultats ; elles répondent aux mêmes impératifs que dans le cas d’une enquête qualitative :

  • rédaction d’un rapport préservant l’anonymat des réponse dans le cas où le logiciel permet le dépôt de commentaires, ce qui nécessite une relecture soigneuse afin d’en éliminer les éléments identifiants ou injurieux ;
  • présentation des résultats, dans des conditions à convenir, au commanditaire, à la Direction et aux managers, aux représentants du personnel et au personnel lui-même.

Dans cette présentation, il convient de ne pas oublier que l’audit vise la mise en place d’actions correctives par rapport aux défaillances constatées. Il ne s’agit pas d’une enquête sociologique visant à faire progresser la connaissance mais d’abord d’un acte de management. De ce point de vue, il peut être judicieux pour l’entreprise d’envisager des enquêtes récurrentes qui lui permettront d’enregistrer ses progrès, voire la détérioration de ses performances humaines et social

On trouvera ci-après, à titre d’illustration, un exemple de restitution brut ainsi qu'un exemple de rapport de synthèse dans la partie exemple de questionnaire ci-contre.