Déontologie de l'auditeur social

L’auditeur est susceptible d’être confronté à des situations très délicates, de faire l’objet de pressions et  de déboucher sur un rapport qui risque d’être produit devant la justice. Il lui faut donc être extrêmement prudent dans ses jugements et mettre en œuvre une déontologie et une méthodologie qui soient extrêmement rigoureuses.

Exemple :

Dans un établissement d’une cinquantaine de personnes, les témoignages recueillis à l’occasion d’une enquête qualitative laissent apparaître qu’une majorité des personnes consultées estime qu’un chef de service se livre à des actes de harcèlement, émet de fausses fiches de présence, s’est fait embaucher sur la foi d’un faux diplôme et accorde des heures supplémentaires à ses amis moyennant un bakchich ; ces témoignages concordants, après vérification, conduisent l’entreprise à prononcer un licenciement pour faute grave ; l’intéressé se pourvoit devant le Prud’hommes ; le rapport d’audit sera pris en considération en raison de son caractère factuel et de l’absence de qualification des faits mis en avant par les personnes interrogées.

Ce devoir de prudence doit conduire l’auditeur à préserver rigoureusement son indépendance, à la fois dans ses investigations et dans ses conclusions. Ainsi :

  • il ne doit jamais prendre pour argent comptant ce que lui disent les uns et les autres ; c’est en s’appuyant sur la diversité des témoignages qu’il parviendra à reconstituer la réalité ; son attitude doit être respectueuse de tous, mais il se doit d’observer une certaine réserve à leur égard ;
  • l’audit ne consiste jamais à rechercher un bouc émissaire et à mettre qui que ce soit en accusation, mais à comprendre la logique de la situation et les voies de sortie de crise ;
  • si la responsabilité de telle ou telle personne apparaît néanmoins comme étant un facteur décisif de la situation, ce n’est pas à lui de qualifier celle-ci mais, à partir des faits et des témoignages recueillis, au prescripteur de l’audit : faute grave ou pas faute grave (voir l’exemple ci-dessus), ce n’est pas à l’auditeur d’en juger ;
  • les conclusions de l’audit sont évidemment confidentielles et l’auditeur doit faire preuve de la plus grande discrétion sur les résultats de ses investigations, qui appartiennent au commanditaire de l’enquête ;
  • l’auditeur doit veiller toutefois à ce qu’elles fassent l’objet d’un feed back dans des conditions qui auront fait l’objet d’une entente préalable avec le prescripteur ; la synthèse qu’il présentera doit être à la fois véridique et adaptée au public auquel elle s’adresse ;
  • certaines vérités mettant directement en cause telle ou telle personne ou risquant de la mettre en porte-à-faux pourront faire l’objet d’une restitution orale à cette personne, sous forme de conseils, dans la mesure où elles ne sont pas déterminantes dans l’analyse de la situation, ceci de façon à lui permettre de s’améliorer sans pour autant risquer de lui valoir une sanction ;
  • la confidentialités des propos doit être rigoureusement maintenue mais cette règle doit être suspendue lorsqu’ils témoignent, venant de celui qui les a tenus, d’un état de dépression laissant apparaître que la personne est en danger ; il conviendra alors d’avertir le commanditaire de l’audit afin qu’il adopte, s’il le faut, des mesures préventives ;
  • dans le cas d’une situation complexe, il est souhaitable que l’audit soit réalisé en équipe par deux auditeurs, voire davantage, de façon à pouvoir procéder à des débriefings qui permettront une interprétation moins subjective et donc plus fiable de l’interprétation à donner de tel ou tel fait ;
  • la prudence doit toujours être de mise dans la mesure où tel ou tel fait décisif pour l’appréciation de la situation peut avoir échappé à l’auditeur ou lui avoir été dissimulé.

L’auditeur ne doit pas oublier que ses conclusions peuvent avoir des conséquences importantes, non seulement pour l’organisation sur laquelle portent ses investigations, mais également pour certaines personnes susceptibles d’être sanctionnée sur la foi de son rapport.  Une grande prudence s’impose par ailleurs compte tenu de l’utilisation possible de son rapport sur le plan judiciaire.

De façon à préserver son indépendance et à border son intervention, il est hautement souhaitable de convenir, entre le prestataire et le commanditaire de l’audit, d’une charte déontologique. Cette charte pourra être présentée aux représentants du personnel ou à celles des personnes sollicitées en vue d’être interviewées qui s’interrogeraient, dans une situation sociale détériorée, sur la démarche représentée par l’audit et sur le degré de confiance à accorder aux auditeurs. On en trouvera un exemple ci-après. Cette charte a été progressivement élaborée à partir de nombreux audits réalisés, seul ou avec d’autres, par l’auteur de ces lignes. Cette charte est présentée dans la partie confidentialité du présent site.

Certains points de cette charte méritent un commentaire :

  • La confidentialité des réponses implique de supprimer, dans les verbatims tels qu’ils sont reproduit dans le rapport, tout ce qui permettrait d’identifier la personne sans pour autant modifier l’équilibre général des commentaires, qui doivent être présentés intégralement et dans toute leur diversité ; il en va de même des propos qui pourraient être jugés injurieux à l’égard de telle ou telle personne et qui n’ajoutent rien en termes d’information utile ;
  • Les résultats quantitatifs doivent être présentés pour des populations d’un nombre minimal de personnes pour, de même, éviter toute possibilité d’identification ;
  • Les locaux où se déroulent les entretiens doivent être adéquats ; de ce point de vue, une sale de réunion séparée du bureau du directeur par une cloison mobile (sic) n’est pas appropriée ;
  • Les résultats concernant un établissement doivent être présentés en premier lieu au chef d’établissement afin qu’il puisse accompagner le rapport qui sera remis à ses supérieurs hiérarchiques par ses propres commentaires, autrement dit, qu’il puisse se défendre s’il estime que son action est l’objet de critiques injustifiées.

Le respect rigoureux de ces principes d’intervention doit mettre le ou les auditeurs à l’abri des difficultés qui pourraient survenir et qui viseraient, soit à mettre en cause son indépendance de jugement, soit à contester les résultats présentés.

Exemple :

Dans une institution où le climat social est extrêmement dégradé et où un audit a été diligenté à la demande de la présidente, une majorité des personnes exprimées fait état d’un problème d’addiction du directeur général à l’alcool. Ces propos sont reproduits dans le rapport, car l’incapacité de ce directeur général à assumer sa mission est l’un des problèmes qui se posent.

Il menace d’intenter un procès aux auditeurs pour dénonciation calomnieuse. Cette plainte, toutefois, n’est pas recevable dans la mesure où le rapport se limite à reproduire les propos recueillis sans pour autant que l’auditeur les ait repris à son compte. Ce n’est pas à lui d’en juger. Il ne fait que rapporter une opinion, même si celle-ci est assez générale pour qu’il soit possible d’en tirer la conclusion.