Pourquoi la veille sociale ?

Du point de vue de la Direction, la nécessité d’une meilleure connaissance de la réalité humaine et sociale de l’entreprise se justifie pour trois séries de raisons :

La première est une question de « risk management » ; le risque social peut prendre au moins deux formes :

  • d’une part, l’apparition de tensions susceptibles de déboucher sur des confits collectifs nécessairement coûteux pour l’entreprise ; or, l’expérience montre que ces conflits résultent souvent de maladresses résultant elles-mêmes d’une mauvaise évaluation de la situation par la Direction ;
  • d’autre part, un développement de la tendance au désengagement des salariés, celui-ci résultant d’une multiplication des « irritants », tels qu’ils viennent leur « pourrir la vie » et qui leur donnent l’impression que la Direction ne s’intéresse pas à ce qui pourrait améliorer, parfois à peu de frais, leurs conditions de travail.

D’où la nécessité, pour la Direction, de prévenir de telles difficultés en amont afin de désamorcer les causes de tensions sociales ou de désengagement.

Exemple réel : 3 jours de grève dans une grande usine. L’audit laisse apparaître l’état d’exaspération de certains salariés, notamment devant le fait que l’eau chaude est en panne dans les douches depuis plusieurs semaines sans que la Direction paraisse s’en soucier. Quelles que soient les revendications salariales mises en avant, c’est bien le problème de la panne d’eau chaude (et quelques autres de même nature) qui est la cause du conflit. Les salariés sont persuadés que « la Direction ne fait rien », comme le soulignent abondamment les tracts syndicaux. Renseignement pris, la Direction a pris les mesures nécessaires : elle a lancé un appel d’offre, choisi un prestataire, les travaux vont bientôt commencer. Simplement, elle a oublié d’en informer le personnel.

La prise en compte des problèmes ressentis par le personnel constitue par ailleurs un facteur de performance globale de l’entreprise. Une réussite durable ne résulte pas seulement de l’efficacité de sa politique commerciale, de l’excellence de ses produits ou de ses services et de la solidité de sa structure financière. Il s’agit de susciter une dynamique humaine fondée sur l’engagement des salariés. Pour cela, la Direction doit se tenir à l’écoute afin de mieux connaître notamment :

  • leurs préoccupations dominantes (qui ne sont pas nécessairement celles qu’elle s’imagine),
  • leur interprétation de la situation de l’entreprise et de son avenir,
  • leurs réactions aux initiatives de la Direction et aux évènements qui ponctuent la vie de l’entreprise,
  • leur degré d‘optimisme ou de pessimisme.

Exemple : En se fondant sur le exigences syndicales, la Direction générale d’une grande entreprise donne beaucoup d’importance, lors de la négociation annelle obligatoire, à l’évolution des salaires. Ce que révèle une enquête de climat social, c’est que les salariés, de leur côté, accordent beaucoup plus d’importance à la façon dont leur activité professionnelle s’articule avec leur vie personnelle et familiale (crainte d’une mobilisation géographique forcée), thème sur lequel la Direction n’a jamais proposé de négociations.

La veille sociale, enfin, se justifie par la nécessité d’une meilleure prise en compte de la diversité des points de vue dans la perspective des négociations à prévoir avec les organisations syndicales et en vue des arbitrages que nécessitent celles-ci. Mieux vaut-il par exemple augmenter les salaires ou prévoir une mutuelle plus généreuse mais plus coûteuse ? Une meilleure connaissance des attentes des uns et des autres permettra à la Direction d’éviter de se fourvoyer dans des solutions qui lui paraissent sensées mais qui ne correspondent pas à ce que souhaitent les salariés.

Exemple : Préparant la fermeture d’une usine au centre de la France, la Direction de cette grande entreprise imagine des reclassements dans d’autres unités distantes de 150 ou 200 km. Réaction d’un salarié : l’usine ne fermera pas, c’est impossible ; mais si elle fermait, je crois que je m’occuperais davantage de mon troupeau d’oies. Autrement dit, le plan de reclassements sur lequel travaille la Direction ne correspond pas nécessairement aux attentes, que l’on a négligé de prendre en compte.